La musique du Cédérom Léopold Sédar Senghor

Par Roland Cahen

 

1) Léopold Sédar Senghor : le poète - président

Itinéraire exceptionnel que celui de cet homme né au début du siècle dans un petit village sénégalais des bords de l'Atlantique, amené à passer l'agrégation de grammaire en France,

à conduire son pays vers l'indépendance avant de présider à ses destinées pendant deux décennies tout en poursuivant une oeuvre poétique qui lui ouvrira en 1983 les portes de l'Académie française. Un homme amené à enseigner le latin et la rhétorique aux petits français de Tours et Saint-Maur,

à participer à la rédaction de la constitution française de 1945,

à siéger dans plusieurs cabinets ministériels de la IVè république

et à abandonner la présidence du Sénégal pour se consacrer à la culture.

Jacqueline Sorel

2) Générique :

Edité par Jériko,

Co-produit par 3001 Multimédia,

Institut National de l'Audiovisuel, La Faktory, La Cinquième Multimédia.

Responsable de la production Valérie-Dior Senghor

Direction éditoriale et conception de l'interactivité Florent Aziosmanoff

Réalisation Samuel Bianchini

Auteurs des textes :

Jacqueline Sorel et Lilyan Kestelloot

Design graphique Didier Lechenne, armand Béhar et Paul Kaiser

Musique interactive Roland Cahen

Développement Informatique

La Faktory, Elian Chrebor, 3001 Multimédia, Emmanuel Méhois.

Les partenaires :

Ministère de l'Éducation Nationale, de la recherche et de la technologie, Agence de la Francophonie, La Cuisine, Ministère de la Culture et des Communications du Québec. Ministère de la Culture et de la Communication - Département des affaires internationales, Conseil régional de Basse Normandie, MVube France, Mediteranean MultiMedia for Culture and Arts-Projet Esprit n° 22266, Atelier Numérique, Mairie de Verson.

3) Origine et projet musical

Florent Aziosmanoff avait voulait créer un cédérom au fonctionnement novateur utilisant, entre autres propositions, de la musique générative.

Nous nous sommes engagé dans la réalisation d'un cédé grand public innovant sur le plan de la navigation et de l'interface, tant du point de vue visuel que sonore.

Habituellement sur les cédés grand public, le graphisme est mis en avant et le son passe au second plan, ici la charte sonore et la charte graphiques ont été élaborées conjointement.

Le volume des sons sur le CD est d'environ 400Mo en 22Khz/16bitsMONO, plus de la moitié du volume ce qui est exceptionnel en soi pour un cédérom sur un sujet non musical.

Thème Senghor => rapport avec la musique africaine et possibilité d'innovation etc

Divers échecs avec la synthèse, le MIDI, le choix se porte finalement sur l'audio.

La question était : qu'est ce que les systèmes génératifs peuvent apporter au cédérom.

Il fallait éviter d'avoir toujours la même chose au même endroit, travailler les transitions, éviter les coupures abruptes. Mais en plus on voulait une musique dont la composition même était dynamique et liée à la navigation dans le cédé.

C'est ce que nous avons appelé de la navigation sonore.

L'idée de navigation sonore est de faire répondre le jeu sonore aux différents déplacements dans le cédé, tant sur le plan bidimensionnel de chaque écran, qu'à travers la structure du cédérom.

La navigation sonore accompagne tous nos mouvements dans le cédérom.

Dans chaque chapitre du cédé, nous avons exploré une autre approche de cette idée de navigation sonore.

4) Réalisation de la partie sonore et musicale

Le travail de réalisation sonore s'est fait essentiellement à 3 :

Le développeur : Emmanuel Mehois

Le responsable de la réalisation : Samuel Bianchini

et le concepteur : Roland Cahen : compositeur électroacoustique

Elian Chrebor est venu compléter la programmation pour l'intégration et le débugage de la navigation sonore.

La prise-de-son des musiciens et les traitements des sons ont été assurés par Hugo Vermandel et la Cuisine

Les musiciens étaient ceux du groupe Sénégalais d'Alphonse Marie Toukas.

Je leur ai proposé des thèmes d'improvisation.

Je leur ai demandé de décomposer des morceaux traditionnels ou de produire des sons variés avec leurs instruments, que j'ai ensuite organisé en une collection de 1500 Objets sonores, Traits, Motifs, Phrases ou Morceaux, catégorisés par fonctions et par voies.

Les poésies sont lues par Jean Yves Berthelot et les enregistrements ont été réalisés au studio Sysmo

 

5) Plan du cd

3 niveaux/ 4 chapitres + le carnet (fonctions documentaires évoluées)

1er niveau : entrée des 4 chapitres

N2 sous chapitres

N3 accès aux documents réunis sous formes d'exposés multimédia. Chaque exposé est relié par des lins thématiques aux autres parties du cédérom

6) Fonctionnement de la navigation sonore :

Les génériques sont des morceaux de musique adaptés pour l'occasion du répertoire traditionnel sénégalais (par exemple le générique d'entrée : Niani est un thème traditionnel que Léopold Sédar Senghor à consacré comme l'hymne de la jeunesse sénégalaise).

Hors la musique, le cédé comporte un nombre important de sons documentaires et l'enregistrement des principaux poèmes.

Le niveau 1 utilise un système de mixage à la souris entre 5 voix d'un même morceau de musique. Le mélange dépend de la position de la souris par rapport aux 5 icônes des chapitres du cd.

Les niveaux 2 ont chacun des moteurs spécifiques que nous ne détaillerons pas.

Le niveau 3 de la francophonie est silencieux

Le niveau 3 de la biographie est intéressant sur le plan sonore, mais nous n'en parlerons pas car il utilise des procédés classiques et déterminés.

Le niveau 3 de la poésie utilise un moteur génératif utilisant des tirages aléatoires contraints. Nous allons l'étudier rapidement.

Le niveau 3 du penseur utilise un moteur génératif de composition algorithmique dynamique à partir d'éléments audio. Nous allons le voir un peu plus en détail après la poésie.

7) Le moteur musical du chapitre la poésie :

Éléments sonores :

1) Ambiances dont la fonction est de contextualiser les poèmes (5 par recueils). En partie issues de ma phonothèque personnelle.

2) Phrases rythmiques : Construite selon Senghor pour accompagner a poésie.

Nous avons suivi une indication de Senghor : "Mes poèmes doivent êtres lus comme sont récités les poèmes africains, avec accompagnement d'instrument à percussion."

Les instruments de percussion sont : Jembé, Tama, Saba', Tambour à lèvre

3) Phases instrumentales mélodiques : de Kora, Balafong, de Senza, ou autres petits instruments fabriqués par Alphonse Marie Toukas comme le Congoma, le Nsambi, ...etc

Pour chaque poème, on tire au hasard une des 5 ambiances du recueil auquel il appartient.

Ces 5 ambiances ont été choisis pour convenir à l'esprit global du recueil.

Puis une phrase de percussion. Puis une phrase d'instrument mélodique

Lorsqu'on passe au poème suivant, on change alternativement au moins un de ces éléments.

Les voix sont gérées dans une pile de trois unités avec entrée en haut et sortie en bas.

Chaque exposé multimédia peut contenir plusieurs pages écran.

Un des principes du cd est que l'utilisateur doit toujours pouvoir se situer dans la structure du cd.

Lorsqu'on passe la souris sur un exposé voisin montré en image estompée et réduite sur les cotés de l'écran, il passe en surbrillance et on a une préaudition de son contenu. Ce principe est appliqué à la lettre dans le chapitre "biographie" ou le "penseur" et de façon plus ludique dans "la poésie". Ici la préaudition fonctionne comme une nouvelle illustration sonore.

Dès lors que le mouvement cesse, le son s'atténue pour laisser toute sa place à la lecture.

Nous avons donc imaginé un système de mise en veille du son en cas d'inactivité de la souris. Ce système multivoix devant suivre les contraintes de tous les moteurs sonores comme des transitions de l'un à l'autre, il est assez complexe.

Après de nombreux essais, nous avons adopté une enveloppe à 4 états.

Si la souris est déplacée, 1 l'intensité du son augmente rapidement jusqu'à un niveau nominal, puis 2 reste à ce niveau tant que la souris est en mouvement sinon, 3 il demeure encore à ce niveau pendant quelques secondes avant 4 de décroître en pente douce jusqu'au niveau minimum.

8) Le moteur du penseur :

Le principe : chaque exposé multimédia est un morceau interactif différent.

 

A chaque partie de l'exposé est associé un instrument.

Il peut y avoir jusqu'à 5 instruments et jusqu'à 3 voix de polyphonie avec le même système de pile que dans le penseur.

Ici les rollover donnent effectivement une préaudition du contenu sonore de la partie voisine.

Chaque instrument joue une partie différente.

Chaque partie est composée d'un ensemble d'éléments sonores : objets sonores, traits, motifs, ou phrases musicales.

Ces éléments préalablement découpés et classés sont joués dans un ordre choisi selon le comportement de l'utilisateur et selon un graphe de transition établi pour chaque instrument.

Ce qui permet d'attribuer aux parties musicales des rôles particuliers et complémentaires à l'intérieur d'un exposé autant sur le plan de l'orchestration, hauteur, rythme, timbre, allure, fonction musicale etc...que sur le plan du fonctionnement ou de la priorité des voix.

Nous avons avec Emmanuel Méhois déterminé 4 "modes de priorité " :

Chaque partie est construite selon un mode de priorité

- en mode #master la durée de chaque élément détermine la durée de la période courante, sur laquelle les voies #normal et #clic sont synchronisées. Les parties en mode #master ont généralement pour fonction d'asservir le rythme général du morceau, en quelque sorte de donner la mesure.

- en mode #normal chaque élément démarre synchro avec celle du #master, c'est une sorte d'accompagnement.

- en mode #clic un clic déclenche un son selon un ordre déterminé et le son se produit à l'occurrence déterminée par le #master, c'est une suite d'évènements ponctuels se produisant lors des clics de souris de navigation à l'intérieur d'un même exposé.

- en mode #auto un élément est mis en boucle sur une voie, c'est un continuum, une ambiance, une pédale...etc

Une fois choisi le mode de priorité de telle ou telle partie, reste à faire l'assemblage des éléments.

Cet assemblage se fait selon un graphe de transitions d'un échantillon à l'autre.

 

Nous avons 2 modes de transition : Beat et Clic

Un grand nombre de situations découlent de ces possibilités au départ assez réduites.

Ce modèle se prète relativement bien et dans une certaine mesure à des musiques construites avec : introdution, répétition d'un motif varié et conclusion.

Il ne se prèterait pas à toute les formes musicales.

Y compris un certain nombre de complexités et de cas particuliers dont nous aurions quelquefois bien aimé pouvoir nous passer, d'autres fois au contraire, c'est en tirant parti d'un effet paradoxal que nous avons obtenu des résultats intéressants.

J'ai eu besoin de créer un " solfège réduit " et un classement typologique des éléments sonores dont nous disposions., comme mon maître Pierre Schaeffer m'a appris à le faire.

Même en apparence sommaire, ce classement nous a été d'une aide précieuse. Il nous a permis de connaître les fonctions et qualifications des sons au cours du travail de la prise de son jusqu'à l'intégration. Ca a beaucoup plu à Hugo Vermandel de La Cuisine qui pouvait en déduire des informations pour les traitements.

Nous avions au départ des ambitions beaucoup plus grande que nous avons du considérablement revoir à la baisse pour plusieurs raisons :

1) Le niveau de complexité technique au moment de l'intégration des différents média : son, image, texte, voix... fait que le nombre de voix est limité et que toute action visuelle du type animation ou film interrompt ou risque d'interrompre le son. Nous avons rencontré des gros problèmes d'interruptions. La solution est pour l'instant musicale, on appelle ça une syncope. Nous en avons usé voire abusé.

2) Les systèmes MIDI n'étaient ni facilement implémentatble sous Director 6 ni assez souples pour produire des résultats intéressants.

3) La gestion des volumes (intensité) en multipiste interactif est extrêmement complexe et il y a encore un travail de recherche en programmation à faire pour obtenir des résultats plus souples.

4) Au début du travail, nous avons consulté Jean Baptiste Barrière et entrepris des recherches avec Hervé Drouault de La Cuisine pour trouver et tester des nouvelles technologies musicales permettant une programmation de musique algorithmique intégrable aux programmes multimédia auteurs. Ce que nous avons trouvé à l'époque (été 1997) n'était pas satisfaisant.

9) En conclusion :

J'ai essayé de présenter assez simplement ce qui en réalité est très compliqué,

Nous nous félicitons de la parution tant attendue de ce cédérom qui a été arraché de haute lutte avec des moyens 10 fois inférieurs à ce qui aurait été normalement nécessaire pour un projet aussi ambitieux. Une création pour l'amour de l'art étant donné que nous n'avons toujours pas été rénumérés.

Nous espérons toutefois avoir fait progresser un peu le cédérom et sa musique, faire mieux connaître et apprécier l'oeuvre et le génie de Léopold Sédar Senghor.

Pour la suite, il faudrait mener un travail régulier dans ce domaine musical de façon à perfectionner les acquis du cédérom Senghor et à rendre plus opérationnelle ces idées de musique générative et de navigation sonore.

Roland Cahen